La science des aurores polaires
Lorsque la nuit polaire s’installe dans l’Arctique, les habitants de la région se préparent à une longue période de ténèbres. Pourtant, même dans cette nuit noire, le Soleil n’est pas tout à fait absent. En effet, sous la forme d’aurores boréales, le Soleil parvient à briller dans la nuit polaire !
Comme le résume, le professeur Patrick Guio, spécialiste de la physique des plasmas : “Les aurores boréales, […] c’est le côté très esthétique d’une interaction entre le Soleil et la Terre.”
Mais alors, quelle est cette interaction entre le Soleil et la Terre ? En d’autres mots, comment se forme une aurore polaire ? Pourquoi les aurores sont-elles de différentes couleurs ? Mais aussi, peuvent-elles représenter un danger pour les dispositifs de communication ? Pour comprendre plus en détails la science des aurores polaires, je vous propose de répondre ici à ces questions.
Avant tout, il faut bien préciser qu’il existe deux types d’aurores polaires. Au pôle nord, elles sont appelées « aurores boréales », et au pôle Sud, « aurores australes ». Dans tous les cas, le phénomène reste le même au Nord comme au Sud. Mais alors, pourquoi les aurores sont-elles si caractéristiques des pôles ? Pour le savoir, il faut d’abord comprendre comment se forme une aurore polaire.
La science des aurores polaires : Comment se forme une aurore ?
Pour qu’une aurore se forme, trois éléments sont nécessaires. “Il faut une source d’énergie, un champ magnétique et une atmosphère” explique le professeur Guio.
À l’origine de la formation de l’aurore, c’est donc le Soleil qui a le rôle de source d’énergie. En plus de produire de la chaleur et de la lumière, ce dernier libère du vent solaire, un plasma composé de protons et d’électrons qui se retrouvent éjectés dans l’espace.
Ensuite, le vent solaire se heurte au champ magnétique terrestre. Ce dernier ayant pour but de protéger la Terre des énergies du cosmos, il est un bouclier qui empêche la plupart des protons et des électrons de pénétrer dans la magnétosphère. Cependant, certains réussissent à y accéder. Comme la forme du champ magnétique se dirige vers le Nord et le Sud (voir image ci-dessous), les protons et électrons vont suivre ces lignes jusqu’aux ovales auroraux situés aux pôles. C’est donc la forme du champ magnétique terrestre qui explique que les aurores polaires soient aussi fréquentes dans ces régions.
Lorsque les particules de protons et d’électrons entrent en contact avec le champ magnétique terrestre, elles interagissent avec les couches supérieures de l’atmosphère. On y trouve de l’ozone, de l’oxygène et d’autres gaz protégeant la Terre. L’aurore apparaît lorsque les atomes au coeur de cette interaction vont libérer leur énergie sous forme de lumière. Une fois formée, l’aurore boréale change constamment d’intensité et de forme. En moyenne, une aurore peut durer environ 20 minutes, puis disparaître, pour réapparaître au bout d’un certain temps.
S’il est bien connu qu’il existe une période pour les aurores boréales, il s’agit en fait simplement d’une période d’observation. En effet, les aurores boréales se forment constamment. Cependant, nous ne pouvons les observer à l’oeil nu que la nuit, lorsque le ciel est dégagé.
La science des aurores polaires : Pourquoi les aurores ont-elles différentes couleurs ?
Les aurores boréales peuvent avoir différentes couleurs et celles-ci dépendent de deux facteurs :
- la composition des gaz qui se trouvent dans l’atmosphère terrestre
- l’altitude à laquelle se forme l’aurore
Selon les “ingrédients” de la réaction, différentes couleurs seront produites.
- Aurore boréale bleue et mauve : les particules sont en contact avec de l’azote, un gaz qui se trouve à très basse altitude, en dessous de 100 kilomètres.
- Aurore boréale verte : le vent solaire entre en contact avec de l’oxygène et l’aurore se forme à basse altitude, entre 100 et 240 kilomètres.
- Aurore boréale rouge : le vent solaire réagit à nouveau avec de l’oxygène, mais l’aurore se forme à une altitude plus haute, au-delà de 240 kilomètres.
En pratique, les aurores boréales les plus fréquentes sont vertes.
Pourquoi peut-il y avoir des aurores loin des pôles ?
En avril 2023, des aurores boréales ont été aperçues en France, mais pas seulement : en Angleterre, dans le Minnesota ou en Nouvelle-Zélande. Si ce phénomène a pu sembler inhabituel, il n’est en fait pas si rare.
Pour que des aurores boréales puissent se former loin des pôles, il suffit que l’intensité du vent solaire soit plus puissante. Comme l’explique le professeur Guio, “plus la tempête est importante, plus il y a d’énergie et plus cela va se répandre vers le Sud ”. Cependant, cela n’arrive que périodiquement, lorsqu’une tempête solaire se déclare.
La tempête solaire a deux conséquences sur les aurores. D’abord, elle les rend plus intenses sur Terre. Ensuite, elle va permettre à l’oval auroral qui se trouve habituellement dans la région des pôles de s’étendre vers le Sud, y rendant les aurores visibles.
En effet, ce sont l’emplacement et l’extension de l’oval auroral qui déterminent l’endroit d’où l’aurore boréale sera visible. Une activité intense signifie souvent que l’aurore peut être vue à des latitudes moyennes, beaucoup plus près de l’équateur qu’à l’accoutumée.
Un exemple notable est celui connu sous le nom de “l’événement de Carrington”. Cet épisode renvoie à l’une des plus grandes tempêtes solaire jamais enregistrée qui eut lieu en 1858. Cette année-là, les aurores polaires ont atteint le sud de l’Europe, les Caraïbes et le Mexique.
Actuellement, un nouveau cycle solaire est en cours depuis 2019 et devrait connaître son pic fin 2024 ou en 2025.
Les aurores polaires représentent-elles un danger pour les dispositifs de communication ?
Tout comme il existe une météo terrestre, il y a aussi une météo spatiale. Cette discipline permet à de nombreux scientifiques, dont Unni Pia Løvhaug, professeur de physique spatiale à l’université arctique de Norvège, d’étudier les aurores boréales et l’activité du Soleil ainsi que leur impact sur les dispositifs de communication.
En effet, nous vivons aujourd’hui dans un monde connecté, dépendant de nombreuses technologies et dispositifs de communication. Les GPS et les satellites situés au-dessus de l’atmosphère permettent aux avions et aux navires de naviguer, mais aussi à nos téléphones et autres appareils de nous fournir une information fiable.
D’après la professeur Unni Pia Løvhaug, “le signal satellite de mauvaise qualité qui traverse les aurores boréales est perturbé et peut être affaibli, déformé ou disparaître complètement”. Elle ajoute aussi que “les particules à haute énergie et le rayonnement du Soleil peuvent être dangereux pour notre infrastructure technologique, par exemple les satellites. Nous sommes plus dépendants de cette technologie maintenant […] cela devient de plus en plus important”. En plus de cela, les dommages causés aux satellites ou aux fusées spatiales peuvent coûter très cher. De nombreux pays ont donc intérêt à sécuriser ces instruments contre la météorologie spatiale.
Pour surveiller ces phénomènes, les chercheurs travaillent en Fenno-Scandinavie et au Svalbard dans la plus grande infrastructure au monde pour l’observation des aurores boréales. Ils utilisent des instruments tels que des radars, des fusées, des caméras cloud etc.
Pendant l’événement Carrington, le système télégraphique de l’époque a été détruit. Cela a provoqué de forts courants électriques à travers les fils de transmission et des chocs pour les opérateurs. Selon les experts, si une tempête de même intensité se produisait aujourd’hui, elle causerait plusieurs pannes dans le monde. Des dommages majeurs à l’ensemble du système de technologie et de communication moderne seraient alors possibles.
Les aurores sont-elles spécifiques à notre planète ?
Les observations au télescope et les missions spatiales confirment que les aurores ne sont pas spécifiques à la Terre. Elles se produisent sur les géantes gazeuses, mais aussi sur nos planètes voisines, Vénus et Mars. Sur les planètes qui possèdent un champ magnétique, le fonctionnement des aurores est assez similaire à celui que nous avons sur Terre. Sur Mars, les aurores sont bien différentes.
Prenons l’exemple de Jupiter, qui aurait le champ magnétique le plus puissant et le plus étendu de toutes les planètes de notre système solaire. Les aurores de Jupiter différent de celles de la Terre sur 3 points :
D’abord, elles ne sont visibles que dans les rayons X ou les ultraviolets, des longueurs d’onde que nos yeux ne peuvent pas détecter. Elles sont donc invisibles à l’oeil nu.
Deuxièmement, les aurores de Jupiter ont une activité très différente à chaque pôle. Au contraire, sur Terre, les aurores boréales et australes se reflètent plus ou moins en termes d’activité.
Enfin, bien que l’activité des aurores de Jupiter soit souvent plus de 100 fois supérieure à celle que nous connaissons sur Terre, certaines particules émettraient des niveaux d’énergie variables, certains élevés et d’autres faibles, quelle que soit l’intensité de l’activité du Soleil. Cela qui indique que l’activité ne depend pas du soleil mais d’une source interne, en l’occurence l’activité de la lune Io.
Sur Mars, les aurores se produisent du côté jour de la planète, sur le côté qui fait face au Soleil․ Même si Mars a perdu son champ magnétique depuis longtemps, il en reste encore quelques morceaux, ainsi qu’une certaine atmosphère. Cela rend donc les aurores possibles sur Mars. Récemment encore, un satellite conjoint européen et russe (Trace Gas Orbiter) a photographié ce type d’aurore inhabituel sur Mars sous la forme d’une étrange lueur verte. Ce phénomène, connu sous le nom d’aurore martienne, est très différent des aurores que nous observons sur Terre et sur d’autres planètes.
CONCLUSION
Pour terminer, il est intéressant de noter que les aurores polaires sont un champ d’étude important pour la science. Même si le sujet fait partie de la recherche fondamentale, c’est-à-dire la recherche théorique, il peut être très utile pour faire avancer la recherche appliquée.
Ainsi, les recherches scientifique sur les aurores polaires permettent d’étudier une branche de la physique en particulier : la physique des plasmas. Ce 4ème état de la matière après le liquide, le solide et le gazeux se trouve sur Terre dans les étoiles, les éclairs ou les aurores boréales. Pour le reste, il se trouve aussi artificiellement dans les écrans des téléviseurs ou les bougies. La physique des plasmas est importante, car comme le précise le professeur Patrick Guio, le plasma représente “99% de la matière dans l’univers”.
La physique des plasmas est une branche de la physique clé pour appréhender d’autres sujets, notamment la fusion nucléaire. Au final, selon Patrick Guio, les aurores polaires offrent “un laboratoire naturel de plasma énorme”.
Enfin, même si la communauté scientifique comprend aujourd’hui globalement le fonctionnement des aurores boréales, des mystères persistent encore. Par exemple, à l’échelle microscopique, il est encore difficile d’expliquer le mécanisme d’accélération technique des particules qui produit les aurores. Aussi, on ne sait pas encore expliquer la formation d’un type d’aurore en particulier : l’aurore vortex.
Je voudrais remercier, pour l’aide et les informations qu’ils m’ont apporté :
- le service presse de l’université arctique de Norvège
- le service presse du musée islandais des aurores boréales Aurora Reykjavík, The Northern Lights Center
Enfin, un grand merci au professeur Patrick Guio de l’université arctique de Norvège pour avoir pris le temps de discuter avec moi de ce sujet et pour avoir répondu à mes questions.